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French

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10670/1.03qkkz

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Introduction. Pour une histoire sociale et culturelle de la bâtardise

Abstract

Filiation naturelle, filiation illégitime, bâtardise : ces trois notions renvoient à des déclinaisons normatives convergentes mais non systématiquement synonymes. Il convient de mesurer la relativité de la définition de la filiation illégitime, par rapport à l’établissement de ce qui fonde la légitimité (en l’occurrence le mariage des géniteurs), comme la polysémie attachée à l’expression de la bâtardise et l’hybridation originelle qu’elle porte en elle. L’écart à la norme en matière de filiation, la pluralité de ses définitions (canoniques, coutumières, culturelles), les incidences (sociales) de son établissement, les enjeux (politiques) de son contrôle et de sa régulation, tels sont les objectifs de la présente étude sur la bâtardise. L’objet, déjà protéiforme, doit s’inscrire dans une temporalité normative précise, attentive à la pluralité des discours sur l’écart à la norme (d’abord légale puis sociale) comme à celle des langages de l’infraction, et dans une chronologie socio-politique fine. Sur ce point, il est nécessaire d’apprécier en détails, et dans leurs spécificités, les chronologies particulières à l’œuvre dans les territoires et les juridictions étudiés à l’échelle européenne. L’histoire de la bâtardise s’inscrit dans une temporalité qui voit s’imposer la promotion médiévale du mariage romano-canonique, cadre légal exclusif à la sexualité des laïcs et à la génération de descendants légitimes, la prise en charge juridique, judiciaire, social (et donc politique) du contrôle de cette articulation précise entre mariage et filiation par des autorités aux compétences d’abord complémentaires et de plus en plus en tensions, à mesure qu’on progresse vers l’époque moderne, - le pouvoir pontifical, et les souverains séculiers. Plusieurs paradigmes changent à l’époque moderne, qu’ils soient culturels et religieux avec la Réforme, ou politiques et juridictionnels. Le durcissement de la condition juridique du bâtard s’impose alors comme une réalité historique qu’il convient de mettre en relation avec la volonté des États monarchiques de maintenir sous leur contrôle la sexualité et le mariage, et d’imposer à la cellule familiale une mise en ordre comparable à celle de la sphère publique. Nous proposons de conduire l’analyse jusqu’aux Lumières, et la fin de l’Ancien Régime, au seuil des débats révolutionnaires pour la France, du moins. Ceux-ci portent en germe les premières tentations de réécriture de la hiérarchie des filiations, dans un contexte de sécularisation du mariage, contrat volontaire entre égaux, toujours naturellement ordonné toutefois à la procréation et l’éducation des enfants. Les implications socio-culturelles de la bâtardise ont profondément évolué au fil des siècles que nous avons choisi d’explorer, mais aussi varié selon les contextes de leurs énonciations, entre indifférence (relative), valorisation, instrumentalisation, stigmatisation. La définition de la bâtardise comme « macule » ou « défaut » de naissance a donc d’abord été pensée pour empêcher les fils de prêtre à hériter d’un patrimoine bénéficial qui ne pouvait être le leur ; puis à contraindre tous les couples laïcs à mesurer l’incidence pour leurs enfants à naître de tout écart à une norme conjugale que canonistes et théologiens ont formalisé à partir des temps grégoriens. Les autorités compétentes pour dire le droit prennent en charge la définition de la norme, le contrôle de sa bonne application mais aussi la régulation des tensions inhérentes à la sanction d’une peine pour une faute commise par les géniteurs et non par le bâtard lui-même. La régulation est prise en charge au spirituel par les pouvoirs pontificaux par le biais de l’instrument de dispense et au temporel par les pouvoirs séculiers, par le biais de l’instrument de la légitimation. Ces deux outils, aux finalités distinctes, ont contribué à alimenter une rhétorique de la souveraineté, pontificale ou monarchique. L’époque de la Réforme protestante est à ce titre révélatrice de ce que peut devenir formellement « bâtard » celui qui n’est pas forcément né hors mariage, d’un concubinage, d’un adultère, ou d’une relation sacrilège, mais, après la révocation de l’édit de Nantes, d’un couple d’époux protestants et non pas catholiques. Il apparaît nécessaire d’identifier comment ces différentes disqualifications s’articulent et se hiérarchisent, en s’efforçant de rendre compte de grilles de lectures plus complexes que la seule alternative exclusion / inclusion. Il convient aussi d’articuler l’approche théorique de ce que le droit nous dit de la condition de l’enfant illégitime, d’un statut pensé comme outil de contrainte pour hiérarchiser les filiations, ce que l’on saisit des modalités et stratégies juridiques (canoniques, coutumières, ou royales) et judiciaires (ecclésiastiques ou séculières) pour protéger l’enfant à naître de l’infanticide qui risque de sanctionner la honte d’une naissance hors normes sociales, pour donner droit « aux aliments » à ces enfants qui, bien que théoriquement sans gens ni genus, n’en sont pas pour autant sans père, à celle, pratique, de profils ou de destins particuliers.Une parentalité particulière s’exprime ainsi selon que l’enfant est accueilli dans une fratrie, dans la maison de son père, ou abandonné aux institutions charitables qui se substituent au père charnel ; selon qu’il circule comme « donats », selon aussi que l’enfant naît ou non dans la noblesse qui, jusqu’au milieu du xvie siècle lui offre des opportunités d’ascension sociale et peut voir dans l’adulte qu’il devient, homme ou femme, un membre du lignage à la partition bien précise à jouer. Nous proposons donc ici une histoire sur le temps long, enrichie des comparaisons entre la France, l’Italie, la péninsule ibérique, les Pays-Bas, l’Empire et la Suisse, de l’écart à la norme en matière de filiation, des marqueurs de cet écart et des représentations induites par ces marqueurs

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