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L'évaluation des enseignants : une intervention dans la concertation "refondation" de l'école

Abstract

Je participe depuis juillet au processus de concertation engagé par le gouvernement sous l'intitulé "Refondons l'école de la République", au titre des personnalités qualifiées. En fait, le coeur de cible de la concertation est l'ensemble des représentants du monde éducatif : organisations représentatives des personnels (syndicats enseignants), organisations militantes ou d'usagers (parents, associations thématiques, mouvements pédagogiques, sociétés disciplinaires...), représentants de la nation (élus locaux et nationaux). Les chercheurs et personnalités qualifiés sont essentiellement présents pour introduire, animer ou éclairer les débats. Un certain nombre d'inspecteurs de haut-niveau de l'IGAENR et de l'IGEN ont enfin été mobilisés pour apporter leur expertise et rédiger les rapports d'ateliers, ce qui garantit à priori en même temps la qualité et l'opérationnalité des propositions qui en sortiront. Dans ce cadre, je me suis engagé dans les travaux du groupe 1 ("la réussite scolaire pour tous"), notamment pour animer l'atelier sur le lycée de la réussite, dont le rapporteur est Catherine Moisan, mais aussi pour intervenir sur des thèmes sur lesquels j'ai déjà largement écrit, comme l'évaluation des apprentissages, la détermination des contenus d'enseignement ou encore les compétences. Par ailleurs, les animateurs du groupe 4 ("des personnels formés, reconnus...") m'ont sollicité pour une introduction à une de leurs séances concernant l'évaluation des enseignants, le 14 septembre dernier. J'en reproduis ici la trame, qui est en langage oral et clairement adaptée au contexte. Plusieurs sortes d’évaluation sont évoquée dans le système éducatif. En contexte d'apprentissage, on parle d'évaluation formative (dans la classe), sommative (examens), diagnostique, certificative (diplômes), etc. Dans la société, évaluation des individus, évaluation d’une organisation, évaluation d’une action ou d’un procédé, évaluation d’une politique publique, évaluations internes ou externes, publiques ou privées… Toutes ces évaluations  sont différentes mais dans certains cas peuvent s’entrecroiser, se compléter voire se perturber les unes avec les autres. Dans les dernières années, on a pu constater que des formes d’évaluation propres à l’univers scolaire, à l’image des évaluations des acquis des élèves, pouvaient être percutées par des principes d’évaluation de politiques publiques différents. Ainsi, l’étude internationale PISA qui se présente comme une évaluation diagnostique a pu, selon les pays, être vécue aussi comme une évaluation de la politique éducative du gouvernement, ou comme une évaluation des pratiques d’enseignement, ou encore comme une évaluation des traditions scolaires. On comprend donc bien qu’en évoquant l’évaluation des enseignants, on ne peut faire comme si la question n’était qu’une question de gestion d’un corps spécifique, détachée des enjeux de l’éducation ou détachée des conceptions mêmes de l’évaluation dans le reste de la société. 1-    Contexte général de la nouvelle gestion publique On ne peut pas aborder la question de l’évaluation sans évoquer en effet le contexte général de la nouvelle gestion publique qui est plus ou moins née dans les années 80. De quoi s’agit-il en ce qui nous concerne ? Essentiellement du passage d’une régulation à priori, par les règles et les moyens, au passage à une régulation à posteriori, par l’évaluation. Auparavant, l’idée implicite qui fondait les sociétés industrielles développées, était un modèle fortement rationnel qui traçait un continuum parfait des objectifs prescrits jusqu à leur réalisation, contrôlée par des procédures et des moyens censés être attribués en conséquence. Parfois, cela fonctionnait à l’image d’une sorte de Taylorisme, pas tant dans la dimension aliénante du travail avec la répétition du même geste dans l’usine, que dans la croyance d’un pilotage par les procédures : on pouvait décider et prévoir à priori ce qui serait fait. Puis, progressivement, on a constaté que les écarts  étaient trop importants entre le travail prescrit et le travail réel : il ne suffisait pas de d’édicter des procédures et d’attribuer des moyens pour avoir le résultat attendu. C’est dans ce cadre que la nouvelle gestion publique a introduit l’idée d’un pilotage par les projets et les contrats, d’une plus grande marge d’autonomie des acteur et surtout d’une régulation par les résultats : une fois fixées les missions, on laisse une large marge d’autonomie aux acteurs pour atteindre leurs objectifs, avec contrôle à postériori par les résultats obtenus, qui, s’ils ne sont pas bon, doivent entraîner des changements,  l’inflexion des comportements ou le réajustement des activités. Voilà pour le cadre général, sachant que la réalité est plus complexe. Par exemple nous avons tous constaté que le terme de qualité est de plus en plus employé, y compris dans l’éducation. Or, si l’on prend les normes les plus formalisées de la qualité, les normes ISO, on se rend compte rapidement que ce sont des normes essentiellement procédurales, qui s’efforcent de définir les procédures et les moyens mis en œuvre. 2-    ÉVALUER PAR LES RÉSULTATS ? Ceci dit, l’évaluation par les résultats est une idée séduisante, y compris pour le pilotage de l’éducation. Puisqu’on est aujourd’hui capable de définir, pour une population d’élève, le taux de réussite attendu toutes choses égales par ailleurs (cad une fois prise en compte l’origine sociale par exemple), pourquoi ne pas évaluer les enseignants sur la capacité à faire réussir leurs élèves mieux ou moins bien que la moyenne ? Vous avez tous entendu parler de la plus-value de l’établissement, qu’on calcule par exemple pour les résultats des lycées que publie la DEPP chaque année. On pourrait imaginer transposer la méthode au niveau des enseignants. De nombreuses raisons, tant méthodologiques que politiques, que je n’ai pas le temps de détailler ici font que cette perspective est pour l’instant peu envisageable en France, mais mérite d’être gardée en arrière fond car elle irrigue la pensée. En effet, si l’idée d’évaluer l’enseignant en fonction des résultats de ses élèves sert rarement de fondement à un dispositif public, on trouve dans tel ou tel pays des systèmes assez perfectionnés de recensement des résultats des écoles, qui sont ensuite autant d’indicateurs permettant de déclencher des allocations de crédits, des récompenses ou au contraire des mesures de rétorsions, pouvant aller jusque dans certains dispositifs à la fermeture de l’établissement. Et on en voit aussi souvent les effets pervers, qui sont les effets pervers d’ailleurs de toute évaluation à fort enjeu : quand un indicateur est utilisé dans une évaluation où l’enjeu est très important, par exemple dans notre cas, pour déclencher des allocations de moyens, alors les comportements s’alignent sur l’évaluation pour produire les indicateurs attendus. C’est ainsi qu’on se retrouve, comme dans certains états des USA, avec des enseignants qui orientent l’essentiel de leur enseignement sur la préparation des élèves aux tests de maths et de français de fin de cycle, en fabriquant souvent des élèves qui savent réussir les tests plus qu’ils ne maitrisent réellement le français ou les maths. Car en matière d’évaluation, le problème est récurrent : il y a des choses qu’on sait plus facilement mesurer que d’autres, et comme il y a toujours la tendance à évaluer plutôt que ce qui est facile à mesurer, et surtout ce qui peut se traduire dans un nombre ou dans une note, on oublie que d’autres dimensions du réel ne peuvent aisément se résumer dans un chiffre. Donc si on revient sur ce travers des évaluations à forts enjeux, imaginez ce que devient une évaluation quand on la couple, au hasard, à un dispositif comme la loi organique de finances et à ses indicateurs : on se retrouve avec un système éducatif qui va chercher à produire des indicateurs conformes aux objectifs en oubliant petit à petit de quelle réalité ces indicateurs étaient censés rendre compte ou, au moins, être les indices. En fait, on souligne ici une loi générale que l’on a observé sur les questions d’évaluation : tout évaluation correctement réalisée contient une dimension de production de connaissance, de savoirs sur le réel, qui apparaît à juste titre comme quelque chose d’objectif, de scientifique. Mais dans le même temps, et je dirai comme l’autre face de la même médaille, de façon indissociable, quand l’évaluation est imbriquée dans le champ de la pratique, de l’action, qu’elle soit publique ou privée, elle a donc une dimension de production de pouvoir. Il y a donc deux formes d’erreur courante quand on parle d’évaluation : l’une consiste à gommer sa dimension de pouvoir pour ne retenir que son caractère scientifique. C’est le penchant auquel cèdent naturellement les décideurs quand il s’agit de légitimer son action par l’évaluation (et cela ne concerne pas que les politiques). L’autre consiste à  lui nier toute dimension de connaissance sur le réel, comme lorsqu’on rejette les enseignements de PISA par peur de leur mauvaise utilisation. 3-    Quid de l’évaluation des enseignants ? Si l’on en vient maintenant au sujet qui nous réunit, à savoir celui de l’évaluation des enseignants, qu’est ce qu’on peut en retenir ? Il faut d’abord être lucide : si l’évaluation s’est imposée comme une norme quasiment générale de l’action publique, c’est qu’il y a incertitude sur le sens, sur les procédures et sur les résultats. Si l’on était confiant sur ce que l’école apporte aux élèves, sur la meilleure façon d’enseigner, sur les contenus d’enseignements les plus pertinents et, surtout, sur les valeurs communes que partagent tous les acteurs de l’école, qu’ils soient personnels ou usagers, je pense que l’on se poserait moins de questions en terme d’évaluation. C’est peut-être quelque chose de normal dans des sociétés complexes, moins homogènes et normées qu’auparavant. Cette  incertitude se ressent évidemment au cœur des professions tournées vers les relations sociales, qui sont en première ligne. Je renvoie par exemple à ce qu’a écrit Dubet sur le déclin de l’institution ou l’épuisement du programme républicain de l’école. On peut réagir à cette incertitude qui est je pense structurelle soit dans une fuite en avant sur les résultats scolaires, c’est la tendance logique de ceux qui sont en dehors de l’école, et qui appelle une évaluationnite aïgue à tous les niveaux. On peut aussi réagir par un repli corporatif qui rejette toute forme de regard extérieur au nom de la liberté pédagogique, du statut ou d’autres formes de protection. C’est la tendance logique de ceux qui sont dans l’école. Je pense qu’il est difficile, dans notre société, de décréter que les professionnels d’un secteur ne doivent jamais rendre de compte et n’être redevable que de leur respect des procédures. Surtout s’il apparaît que la simple conformité aux règles de l’institution ne satisfait pas grand monde : c’est bien ce que j’ai cru comprendre des critiques récurrentes contre le système actuel de notation pédagogique et administrative ! Je ne reviendrai pas sur cet aspect que vous avez déjà du débattre abondamment, qui semble converger avec l’idée d’une inspection qui s’oriente vers la régulation et le conseil. Je préférerai insister sur un autre aspect : ce qui me semble en jeu dans tous les systèmes éducatifs, c’est de savoir quel professionnel est l’enseignant. Si l’on estime qu’un enseignant est un technicien de l’apprentissage, cela signifie qu’il suffit de recenser les bonnes pratiques, comme autant de bonnes techniques, qui constitueront son référentiel de compétences et qu’il n’y a pus qu’à vérifier la conformité à ces pratiques standardisée. Personnellement, je ne crois pas qu’on puisse résumer la complexité de l’enseignement et de l’apprentissage à un certain nombre de techniques, mais je souligne ici qu’avec le développement des sciences cognitives et des neurosciences, certains y croient. Si l’on estime qu’un enseignant est membre d’une profession au sens anglo-saxon du terme, cela veut dire qu’il y a une grande part d’autonomie dans son travail qui doit être respectée, mais aussi qui implique certains devoirs, dont celle de savoir s’impliquer dans la régulation collective de la profession. Or ce qui contraste le plus fortement la France avec d’autres pays comparables, c’est l’absence de la dimension collective de l’évaluation. Certes, les établissements doivent rendre des tas de chiffres pour nourrir des tableaux de pilotage. Mais cela reste en grande partie l’affaire du chef d’établissement dans le second degré ou d’autres personnels d’encadrement académique dans le premier degré. Ce qui manque en revanche, c’est une dimension d’évaluation collective  qui s’efforce de prendre en compte non seulement des indicateurs chiffrés sur les résultats, mais pose d’une façon ou d’une autre les sujets qui sont derrière, au delà ou en amont des chiffres : la dynamique collective, le travail d’équipe, le climat d’établissement, les relations collectives, les valeurs qui réunissent les personnels, les défis particuliers auxquels ils doivent faire face, etc. Je sais que c’est ce que cherchent à faire les bonnes inspections d’établissement, mais ce genre d’évaluation collective ne fait pas partie des éléments de régulation du système aujourd’hui. Remarque évidemment liée, celle de l’auto-évaluation : le regard externe est souvent nécessaire dans un processus d’évaluation, mais il ne dispense jamais d’un travail d’auto-évaluation, qui est le seul à même d’approcher un diagnostic le plus proche possible de ce qui fait vivre, fonctionner, et parfois dysfonctionner, une communauté éducative. Une évaluation qui produit des effets, qui assure une rétroaction, qui participe de la régulation, ne peut se passer de la participation des acteurs. Encore faut-il que l’autoévaluation ne devienne pas un objet bureaucratique ou un livré à l’extérieur comme enjeu d’évaluation concurrentielle, sauf à se vider de sa substance. J’ai discuté par exemple avec des chercheurs  britanniques qui ont livré leur scepticisme quand à la routinisation bureaucratique des rapports d’autoévaluation que devaient centraliser les établissements scolaires anglais, qui devenaient une corvée bureaucratique dévoreuse de temps mais sans effet dans l’établissement. Enfin, je finirai avec une remarque rapide sur la séparation entre l’administratif et le pédagogique : je sais que la tradition d’une coupure entre les deux dimensions est forte en France, et j’ai vu combien la dernière réforme avortée sur l’évaluation des enseignants avait pu heurter pour de multiples raisons. Je pense néanmoins que cette séparation est largement artificielle, comme celle qui sépare la vie des élèves de part et d’autre du seuil de la classe, et qu’elle est facteur de souffrance pour tous les acteurs de l’institution scolaire. Je ne pense pas qu’il est sain à terme que l’évaluation entérine et redouble ce genre de coupures.

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