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French

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10670/1.7s8ajb

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Nourrir le souffle au passage du seuil : À table, à l’heure du trépas : demeurer bon vivant au-delà de la vie

Abstract

Pour quelles raisons culturelles accorde-t-on une attention si anxieuse à la nutrition des personnes en fin de vie ? La mort médicale est encore à venir lorsque déjà s’annonce le crépuscule de la socialité puis l’extinction de la sensorialité et la décrépitude corporelle qui suggèrent aux soignants et à la famille leur propre destin. A titre d’hypothèse plusieurs explications peuvent être retenues qui se conjuguent sans doute entre elles. Il importe premièrement de veiller à ce que le mourant s’alimente afin qu’il continue à incorporer les vertus du monde, et ce faisant, de lutter encore contre la dégénérescence corporelle qui préfigure la destinée cadavérique. Ces vertus s’incarnent dans la cuisine funéraire dans des mets spécifiques concentrant des significations vitalistes : force, pureté, prime enfance. L’acte de nutrition renvoie, par excellence, à l’attitude maternelle qui fonde, on le sait, le rapport de la personne au monde. Pour diverses raisons, le malade en fin de vie est positionné- se positionne - dans une posture un peu régressive à laquelle répond l’entourage soignant, en particulier dès lors que la dimension curative des soins a laissé place à l’accompagnement. L’imaginaire collectif, a su très tôt représenter la mort et ses suites sous les métaphores rassurantes de la Mère et de la naissance. Rappelons que la nutrition emprunte la même voie que la respiration et la parole auxquelles elle se trouve symboliquement associée. Or, nous regardons la respiration et la parole comme des indices primordiaux de la vie. A cet égard, il est possible que l’entourage cherche à compenser cette perte de ces fonctions par l’alimentation à tout prix qui mobilise le même organe. A cette dimension symbolique et sensorielle se relie la notion de plaisir, porté par la vue, les aromes, les saveurs et les textures.De plus, servir de la nourriture est sans nul doute la plus archaïque forme du don, et pour cette raison résume absolument la notion de partage qui fonde idéalement la relation sociale. Dans nombre de cultures, on offre de la nourriture ou des objets au défunt qui s’en va, afin que, rendu dans le monde idéal des ancêtres, il devienne ainsi pour les vivants, pourvoyeur de biens et de bienfaits. Cette opération est d’autant plus cruciale que surgit dans l’entourage un sentiment de culpabilité à l’égard du défunt qu’on a mal su protéger, dans le cas d’une mort violente, inexpliquée, ou d’une maladie inconnue. L’entourage se sent coupable de poursuivre ici-bas et ce faisant, d’abandonner le défunt à son destin au -delà. Un fort remord d’impuissance est alors projeté par les vivants dans le défunt que l’on se représente comme insatisfait, « affamé », dans une colère qu’il devient indispensable d’éteindre « pour la paix des vivants ». Ce n’est qu’au tournant du XXème siècle que l’affaiblissement de l’unanimité religieuse en Occident a estompé des utopies post-mortem qui durant des millénaires ont réuni le destin des vivants et des morts sans solution de continuité. De ce fait, de façon mal consciente souvent, nous sommes dépositaires de représentations culturelles anciennes qui surgissent, ici et là, dans nos pratiques dont elles permettent d’expliquer certaines modalités. Aux yeux de l’entourage et des soignants, la personne en fin de vie a commencé à passer d’un monde à l’autre ; à ce titre elle se tient dans un sas ou les significations s’entremêlent, où les états se confondent en un continuum. A cet instant, la nutrition pose problème ; sur un plan physiologique, cela s’entend, mais aussi bien sur un plan symbolique où tout un outillage culturel est alors mobilisé.

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