Dans son roman Dein Name, paru en 2011, Navid Kermani déploie le journal d'un écrivain allemand d'origine iranienne tel qu'il l'est lui-même. Autofiction et mise en abyme permanente de celle-ci, l'auteur fictif se présente à la première ou troisième personne du singulier – parfois même dans une seule et même phrase – et est nommé tantôt le « romancier », tantôt « Navid Kermani ». Ecrivain en quête de soi et dont le travail représente une tentative désespérée de s'opposer à la disparition et à l'oubli, il entreprend de rapporter le moindre détail de son quotidien immédiat. Ainsi donne-t-il à voir ses va-et-vient incessants entre la langue allemande et la langue persane, et ce en particulier lorsqu'il traduit sous les yeux de son lecteur l'autobiographie de son grand-père iranien ainsi que celle de sa mère. En alternant le récit de son quotidien et la traduction de ces manuscrits, il développe selon un savant tissage l'avant et l'après d'une histoire familiale de migration dans un récit qui crée « de nouveaux espaces métis et intermédiaires » (A. Todorow). Navid Kermani intègre en effet à sa poétique romanesque in progress ses lectures et exégèses « métisses », notamment lorsqu'il relit deux classiques allemands (Hölderlin et Jean Paul) à la lumière de la mystique sufi. Une apparente boutade – « Hölderlin est le sufi de la littérature allemande » – l'entraîne à tisser des liens aussi surprenants que précis entre la mystique arabe et la mystique piétiste, entre les traditions littéraires occidentale et orientale, qui contribuent à nourrir sa propre poétique. Faisant écho aux autres œuvres de Navid Kermani, littéraires ou essayistes, qui sont autant de facettes d'une écriture entre deux religions et cultures, deux héritages littéraires et deux langues, le roman Dein Name présente l'élaboration d'une poétique autofictionnelle métisse que nous nous proposons d'observer en détail.