Si la musique est un art du temps... elle a aussi besoin d'espaces au sein desquels se déployer, exister. Or, les conditions de son écoute et de sa production ont largement évolué au XXe siècle. Le fait de pouvoir produire et utiliser des sons synthétiques, transformés, ou des vibrations “naturelles”captées dans des conditions extrêmes - ainsi que les possibilités de reproduction du son- ont modifié notre « espace-temps sonore ». Le son a ainsi acquis une nouvelle matérialité, un nouveau statut. Cette profonde mutation incite les compositeurs et les musiciens à une réflexion renouvelée sur le rôle de l'espace dans la musique. De même que l'usage de la perspective plane en peinture, à partir de la Renaissance, s'appuie sur une définition nouvelle de la relation sujet/monde, ainsi que l'a brillamment établi Erwin Panofsky, on peut faire l'hypothèse que l'irruption de l'espace, cet impensé musical, dans le domaine de la composition musicale traduise des mutations culturelles, esthétiques et sociales plus profondes. Comment étendre l'expérience de l'écoute à l'espace pluriel d'un site ou d'une architecture? L'espace réel pose la question du point d'observation (mobile ou statique) dans une structure multiple, aux volumes variés, imbriqués, communicants ou non. Loin de proposer un point de vue – ou d'écoute unique - il s'agit pour nous de tirer parti de l'espace donné, d'explorer (exploiter) la plasticité acoustique d'un lieu. : jouer sur les contiguïtés, les ouvertures, les seuils, les distances ... dans la perspective d'une dramaturgie de l'espace sonore (théâtre des sons). L'auditeur est invité à déambuler ou à prendre place librement. Il expérimente la profondeur mobile du site au fil de son parcours, perçoit des différences de niveaux (haut-bas), des relations avec l'extérieur (dehors-dedans), voire avec l'environnement immédiat. Si le dispositif de captation et de diffusion révèle les caractéristiques in situ, il génère en même temps une « scénophonie » imaginaire : espaces à la fois réels et fictifs, dans lesquels les « doubles » se déplacent indépendamment de leur source, espace déconstruit - hétérotopie, pour reprendre l'expression de Michel Foucault. Aujourd'hui, l'écriture d'espaces-temps multiples est rendue possible grâce aux développements réalisés dans le domaine de la captation et de la diffusion sonores. Ces nouveaux outils matériels et logiciels ont non seulement étendu nos possibilités techniques d'intervention, mais nous invitent surtout à redéfinir notre façon de penser les espaces sonores.