La synthèse présentée pour l’habilitation à diriger des recherches vise à circonscrire un positionnement théorique dans le champ aujourd’hui foisonnant de l’analyse du discours et à proposer des outils et des méthodes forgés à l’épreuve de l’analyse de discours produits en situation professionnelle, en particulier des rapports éducatifs rédigés par des travailleurs sociaux dans le champ de l’enfance en danger. C’est à partir de ce positionnement que peut selon moi s’engager un dialogue fructueux avec d’autres courants qui ont pour objet le discours (CDA ou linguistique de corpus par exemple). Dans la lignée des travaux menés par et autour de M. Pêcheux, mais aussi de ceux de Bakhtine et plus récemment de J. Authier-Revuz, le discours est conçu comme traversé et déterminé par des extérieurs discursifs dont on saisit les manifestations à travers des formes et des configurations linguistiques telles que la représentation du discours autre, la concession mais aussi la répétition entre discours ou à l’intérieur d’un même discours. La description de ces formes est articulée à un double questionnement, sur la matérialité discursive de l’extérieur ainsi saisi, et sur son statut même d’extérieur : à quelles conditions la répétition est-elle reprise, dans quelle mesure les « routines » identifiées dans le discours des éducateurs renvoient-elles à du « déjà-là » tout en étant constitutives de ce discours ? Pour rendre compte de l’interaction entre la matérialité langagière et ce qui la détermine, la notion de « genre », devenue incontournable en AD et plus largement dans tous les domaines s’attachant à la contextualisation des données observées, apparaît comme un niveau de description opératoire, à condition de la circonscrire. Dans ma perspective, le genre est conçu non pas comme un donné mais comme un observatoire à construire et, dans la filiation de Bakhtine, comme une notion dynamique et elle-même hétérogène. Ainsi l’exploration outillée du corpus de rapports éducatifs permet-elle de faire émerger des patrons lexico-syntaxiques qui constituent des « routines » discursives s’inscrivant dans la visée du genre, mais qui entrent aussi en résonance avec des usages en mouvement dans la « langue commune », en particulier dans le secteur des constructions prépositionnelles. La « mise au travail », sur des discours professionnels, des concepts mis en place par l’AD – interdiscours, préconstruit, formation discursive par exemple –produit dès lors des questionnements nouveaux : la place du scripteur comme sujet d’une écriture routinisée ou encore l’intrication entre déterminations liées au genre, à la sphère d’activité, et à des changements en cours dans la « norme », entendue à la suite de Coseriu comme espace intermédiaire entre langue et parole. Ces questions vives intéressent également ce que l’on a l’habitude d’appeler « demande sociale », laquelle occupe une part non négligeable des travaux présentés pour l’HDR, que ce soit dans le dialogue mené avec les travailleurs sociaux autour de leurs écrits, dans la production de matériel didactique visant à remédier aux difficultés des étudiants à l’université, ou dans un travail interdisciplinaire en cours autour de la question de la prise de décision en situation de risque.