Derrière le plan de Mexico, dressé en 1523 par le "géomètre" d'Hernán Cortés, se profilent les stratégies d'édification des villes américaines : une modernité surgie de la tradition, où se mêlent vertus guerrières et souvenirs de la conquête, c'est-à-dire de la tradition hispanique. Mais Mexico reste exemplaire ; c'est la seule capitale de royaume que l'on édifie sur les ruines d'une ancienne capitale impériale préhispanique. Le plan de Cortés donne une image lissée, polie de la ville de Mexico ; la géométrie, l'ordre, l'harmonie en sont les maîtres mots. Ce plan est un concept de ville idéale : une croix inscrite dans un cercle. Venise mexicaine ou Tenochtitlan italienne, le plan inspire les penseurs de la cité idéale. Avant la conquête, Tenochtitlan est une ville paysage conçue autour d'une immense place centrale structurante où les temples et les palais jouxtent le grand marché ; le paysage matrice de Tenochtitlan est un immense jardin où les activités lacustres sont prédominantes. Dans la carte (copie d'une carte indigène) d'Alonso de Santa Cruz, Mexico est bien au centre de la lagune mais portée par le cœur de la cité lacustre : Tenochtitlan fait naître Mexico. Les deux mondes sont superposés, juxtaposés. L'image indigène de la ville n'est pas encore contaminée par la perspective de la globalité ou de la perfection de la ville immobile ; la cité témoigne de la survivance d'un mode de vie pluriséculaire. Ainsi se juxtaposent, sans jamais fusionner, deux visions opposées de la ville : Mexico, capitale triomphante de la monarchie hispanique, la " Rome d'ici " ; Tenochtitlan, ville mémoire, la cité effondrée d'un monde à jamais perdu.