Le manifeste est un des " genres " de la modernité, et accompagne le passage d'une esthétique du modèle à une esthétique de l'innovation. Mais son évolution permet de saisir la rupture que constituent les avant-gardes. En déplaçant le manifeste du programmatique vers le poétique, en le constituant comme forme et comme œuvre, les avant-gardes " historiques " des années 1910-1920 construisent une esthétique et une " posture " artistique nouvelles, qui privilégient l'expérimentation et l'action. L'étude de cette évolution (en particulier celle de la revue Lacerba et celle du travail typographique) fait apparaître quatre fonctions du manifeste (dénonciation et fondation, théorisation et performation), qui se sont progressivement constituées, et montre que le manifeste d'avant-garde, envisagé comme une forme, plutôt que comme un genre, privilégie la dimension performative (ce qui invite à nuancer la notion d'" anti-manifeste "). Elle confirme, enfin, que le manifeste fonctionne comme un laboratoire, où sont envisagées conjointement les possibilités théoriques et pratiques de l'expérience artistique. Au-delà d'un appel à l'innovation, c'est ce caractère à la fois intentionnel et performatif du manifeste d'avant-garde qui ouvre à l'expérimentation. Il permet d'élaborer le principe par lequel l'avant-garde rompt avec la modernité, et qu'exprime par exemple Kurt Schwitters dans " i. Ein Manifest " en 1922 : " Concept, matériau et œuvre d'art sont une même chose. "