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La réforme foncière au Vietnam. Analyse des jeux d'acteurs et du processus de transformation des institutions aux échelons central et provincial

Abstract

Une des particularités du foncier vietnamien réside dans l’existence d’un « état zéro » desinstitutions foncières, que l’on peut dater approximativement au début des années 1980, à partirduquel l’ensemble des institutions a été mis en place. Cet « état zéro » des institutions ne signifiebien entendu pas l’absence d’héritages : les institutions qui émergent aujourd'hui portent la tracede chacune des périodes passées. C’est le cas par exemple de la multiplicité des institutionscoutumières locales dont les principes de répartition sociale et spatiale des ressources semanifestent encore nettement à cet échelon. C’est le cas aussi du système foncier français dont onretrouve par exemple la trace dans le choix qui est fait de privilégier le système d’enregistrementdes certificats de propriété plutôt que le système de preuve par les titres eux-mêmes, plutôt anglosaxon.Le processus de mise en place des institutions foncières a cependant une dimensionsynchronique nette et reflète autant qu’il participe au processus de transformation profonde del’État et de la société vietnamienne dans son ensemble.Ainsi, entre 1979 et 1993, les institutions foncières ont d’abord été conçues ad minima, de façon àrépondre aux attentes fortes de la société, alors profondément rurale, sans autonomiser le foncier.Cette période est celle de la dissolution progressive des coopératives par réduction toujours plusgrande de leurs prérogatives sur le foncier. L’État procède alors par petites touches et reconnaîttout d’abord (décret 100, décret 10 et loi foncière de 1989), les individus et les foyers commeusagers potentiels de la terre, les droits d’usage étant cependant alors toujours limités et définis ausein des coopératives par le biais de contrats temporaires passés entre les coopératives quidétiennent toujours les droits de gestion délégués, et ces nouveaux usagers. Elle s’achève par laloi foncière de 1993 qui ne remet toujours pas ouvertement en cause les coopératives mais quifournit les moyens de leur disparition en reconnaissant aux individus et aux foyers, outre le droitd’usage des terres agricoles, des droits de gestion dérivés fondamentaux (droits d'échanger, decéder, de louer, de laisser en succession et d'hypothéquer.), pour des périodes fixées relativementlongues. Cela leur confère une maîtrise importante du foncier et dépossède du coup lescoopératives de leur capacité réelle de gestion de la terre. Ces droits sont associés au droitd’usage, et ce n’est donc pas la terre qui peut être transmise ou hypothéquée, mais le droit del’utiliser et d’en percevoir les fruits. Cependant, l’existence même de ces droits et la fixation desdurées de leur allocation aux foyers sur un terme assez long font qu’un marché foncier peut sedévelopper et que le foncier s’apparente, dans son fonctionnement mais non dans sa nature, à unfoncier fondé sur la propriété privée.La seconde étape est celle d’une transition qui permet de passer en « douceur » d’un foncier conçupour répondre aux attentes des ruraux à un foncier conçu pour accompagner le projet d’un ViêtNam moderne, industriel et urbain. Elle correspond grosso modo aux dix années qui séparent leslois foncières de 1993 et 2003. Pendant ces dix années, l’État touche peu aux droits accordés auxindividus et aux foyers et modifie peu le foncier agricole. En revanche, il oeuvre à la mise en placede l’administration foncière, administration pour laquelle il crée en 1994 un organe indépendantde niveau ministériel, le Département général de gestion foncière (ou GDLA, GeneralDepartment of Land Administration). Celui-ci regroupe pour la première fois en son sein lesdimensions décisionnelle, opérationnelle (ex-Département général de la gestion foncière créé en1979) et techniques (ex-Département national des enquêtes et de la cartographie) du foncier, cequi témoigne alors de la volonté gouvernementale d’autonomiser et de donner du poids à cedomaine. L’État réglemente aussi progressivement – mais dans le désordre, par une accumulationconsidérable de textes – les modalités d’accès aux terrains urbains, industriels et commerciaux, et8augmente les droits concédés aux entreprises privées, préparant ainsi aux changements de lapériode suivante.La troisième étape débute avec une réforme de l’administration foncière en 2002 et la publicationd’une nouvelle loi foncière en 2003. La nouvelle configuration est celle d’un foncier devenant unoutil d’aménagement du territoire au service de l’industrialisation et de l’urbanisation. Cela estnettement perceptible dans la loi de 2003 qui intègre les réglementations de la période précédenteet se préoccupe peu du rural. L’accès aux terres agricoles et forestières, qui avait été réglementéen 1993, est relativement peu modifié et n’est guère assoupli pour les foyers ruraux. Mais lesautres catégories de terres et les autres catégories d’usagers – dont certaines apparaissent pour lapremière foi dans la législation – prennent une place grandissante et même dominante dans la loi.Ainsi, la nouvelle législation est riche en dispositions destinées à faciliter les investissementsindustriels et commerciaux des entreprises privées et des étrangers, et elle permet que sedéveloppent marché immobilier et marché des droits d’usage du sol. La nouvelle législationprécise aussi les procédures d’inventaire et de planification. La planification de l’usage du solreste une procédure descendante, pilotée par l’Office foncier aux différents échelons, mais lalégislation étend les prérogatives des provinces et introduit la possibilité de modification du statutdes terres par les autorités administratives infra-provinciales, ce qui donne une plus grandesouplesse à cette planification.Depuis 2002, le contexte foncier est aussi un contexte de multiplication et d’intensification desenjeux fonciers, et cela à plusieurs niveaux. La décentralisation partielle et mal maîtrisée de lagestion foncière multiplie les dysfonctionnements et les tensions au passage entre échelon centralet provincial. D’un côté, l’Office foncier, qui bénéficie de gros efforts de modernisation et estresponsable de la planification à tous les échelons, n’a jamais eu autant de pouvoir potentielqu’aujourd'hui. De nature à effrayer le pouvoir central, ce pouvoir lui a très probablement valu en2002 de perdre son rang de ministère pour être rattaché au MoNRE (ministère des Ressourcesnaturelles et de l’Environnement). D’un autre côté, les provinces profitent des failles encoreimportantes du système administratif pour alléger les contraintes d’une planification centralisée etcomposent très largement avec la législation afin de répondre aux attentes locales et en particulierà celles des intérêts privés. Un autre sujet de tension est en effet celui de la privatisation croissantedu foncier. Jusqu’à aujourd'hui, l’État (et ce depuis la Constitution de 1959) est propriétaire del’ensemble des terres au nom du peuple entier et les droits fonciers individuels, s’ils sont sanscesse étendus, sont des droits d’usage et de gestion délégués. La multiplication des usagersreconnus, l’assouplissement des conditions d’accès à la terre et l’extension progressive des droitsassociés au droit d’usage permettent cependant aux entreprises privées, nationales ou étrangères,de devenir des acteurs prépondérants du foncier, ce dont témoigne la croissance spectaculaire dunombre et de la dimension des emprises foncières réservées aux projets industriels, commerciaux,immobiliers ou de loisir, notamment dans les espaces périurbains.La création, en 2004, des « organisations de développement des fonds fonciers » estsymptomatique des problèmes que pose la redéfinition du rôle des provinces et des investisseursprivés. Un problème récurrent des investissements est en effet celui des modalitésd’expropriation, en particulier les indemnisations, des personnes détenant les droits d’usage. Ceproblème n’a longtemps pas été réglementé et a été traité au cas par cas par les provinces ou parl’Office foncier. Dans la loi de 2003, l’État apparait toujours comme le principal acteur de larépartition des terres dans la mesure où il est toujours celui qui reprend le terrain pour leréattribuer immédiatement aux investisseurs. Depuis 2004 cependant, l’État s’est désengagé destransactions intervenant lorsque les terrains sont repris en créant une nouvelle personnalitémandatée par l’État, les « organisations de développement des fonds fonciers », dont la tâche estde simplifier les démarches des investisseurs en leur proposant un unique interlocuteur, de gérerles fonds provenant des terrains récupérés par l'État après décision des organes compétents et depréparer ces terrains avant qu’ils ne soient remis aux investisseurs. Or ces organisations, noncommerciales mais pas totalement publiques, n’ont pas de réalité forte. Elles ne disposent pas de9capacité financière propre, leur création n’est pas obligatoire et leur forme est floue, y comprisleur échelon de compétence, celui-ci pouvant être de niveau districtal ou provinciale. Une telleimprécision, qui se traduit par la création d’organismes de nature très variée selon les provinces,donne à penser que l’État cherche plus à se décharger du problème hautement sensible desexpropriations aux dépens de ceux qui en bénéficient qu’à le résoudre durablement.Les problèmes engendrés par les modalités d’expropriation préalable aux projets d’investissementsont pourtant une des épines la plus profondément enfoncée dans le pied du pouvoir de Hanoï.Comment comprendre alors ce désengagement ? Une des raisons est probablement à chercherdans la complexité croissante de la gestion foncière ainsi que dans la question des moyenshumains et financiers pouvant être dévolus à l’administration pour réaliser les tâches qui lui sontimparties. Ces besoins restent très importants, en particulier aux échelons les plus bas (communes,districts) où le personnel est généralement peu ou pas formé. Mais les aspects techniques etfinanciers ne sont pas tout et le désengagement de l’État est aussi une des manifestations dumalaise ressenti par l’État face aux deux priorités de nature très différentes auxquelles il doit faireface : celle de mener le Viêt Nam vers la modernité en le transformant en un pays industriel eturbain et celle de ménager la population rurale, fragile et numériquement majoritaire, qui futlongtemps habituée à porter les valeurs socialistes. En effet, un des facteurs qui aggraveaujourd'hui la question des expropriations est le maintien, depuis quinze ans, des terres agricoleset forestières dans un état relatif d’isolement et d’immobilité. Cet État, dont on peut penser qu’ildoit les protéger (et protéger leurs usagers), les rend aujourd'hui fragiles face aux dynamiques dufoncier urbain et/ou non agricole (industriel et commercial, de loisir, etc.)S’il s’est bien produit quelques changements les concernant depuis 1993, les terres agricoles ontun accès très réglementé, en particulier par le maintien de superficies et de durées d’allocation desdroits maximales permettant de limiter les processus d’accumulation et de garantir un accèségalitaire au foncier au sein de la population rurale. Selon la même logique, les terres agricolesdont les droits sont alloués aux foyers par l’État ne sont pas imposables et leur valeur est fixée enfonction de la valeur de la production agricole et non par comparaison avec le prix des terresadjacentes (prix du marché), ce qui doit permettre qu’elles restent accessibles aux foyers ruraux,même démunis. Mais ce statut spécifique, et en particulier celui du foncier rizicole qui estparticulièrement protégé, joue en défaveur des foyers ruraux en les enfermant dans desexploitations de petite dimension et de faible valeur ce qui les fragilise lorsque des intérêts privéset/ou non agricoles entrent en jeu. Les foyers agricoles ne sont-ils pas alors – avec l’agriculture –sacrifiés à l’industrialisation et à l’urbanisation plutôt qu’ils ne sont protégés ?La réponse à cette question n’est pas aussi simple que le laissent supposer ces dernières lignes. Lasituation des foyers ruraux est, d’une part, extrêmement inégale selon les régions, et il est des casoù les modalités d’accès aux terres agricoles et forestières sont de nature à protéger effectivementles foyers ruraux, en particulier les plus fragiles d’entre eux. Des événements récents, la crisealimentaire mondiale en particulier, ont rappelé au Viêt Nam qu’il n’en avait pas fini avecl’agriculture et avec les paysans et ont remis la question du foncier rural sur le devant de la scène.En réponse à cette crise (et à une augmentation considérable du prix du riz), le gouvernement adécidé du gel de plus d’un million d’hectares de rizières et a lancé une campagne (les « troisnông ») dont l’objectif est de revaloriser le milieu rural par rapport au milieu urbain. Il est trop tôtpour savoir si le retour du « rural » qui a marqué l’année 2008 aura un impact durable sur lefoncier agricole et quel sera précisément cet impact. Mais les décisions prises montrent que lefoncier agricole reste un levier que le gouvernement n’hésite pas à actionner lorsque le besoin sefait sentir. Pour certains cadres nationaux, le foncier agricole demeure un symbole fort dusocialisme et son règlement reste un élément crucial de la paix sociale dans une société encore trèslargement rurale et attachée à la terre. À travers la question du foncier agricole, c’est ainsi toute laquestion du rôle de l’État dans la voix du « socialisme de marché » qui est posée. C’est aussi cellede la légitimité du Parti communiste. Il est en effet possible de comprendre les hésitations (ou lesapproximations) en matière foncière comme la manifestation d’un certain pragmatisme d’État qui10s’inscrirait en continuité de celui de la période socialiste. Les évolutions récentes du foncierremettent cependant en cause les fondements même de la légitimité du Parti communiste, ce qu’ilpourrait chercher à atténuer, à travers le gouvernement, en maintenant le statut spécifique dufoncier rural. Le Viêt Nam s’achemine-t-il vers un foncier à deux vitesses, une partie des terres –la grande masse des terres agricoles et forestières allouées à titre gratuit – continuant à être géréepar le pouvoir central pour l’intérêt de tous, une autre partie mobilisable à loisir dans la premièrecatégorie, et gérée de manière libérale de façon à soutenir le développement économique dupays ?Répondre à cette question nécessite de se tourner vers les acteurs du foncier et de questionner leurpositionnement relatif. Actifs depuis relativement peu de temps car longtemps mis à l’écart d’undomaine stratégique sensible, les acteurs étrangers considèrent dans leur majorité la réformeinaboutie, ce qui est considéré comme une cause importante de corruption, et exercent despressions pour débarrasser la loi de ces « archaïsmes socialistes » et la rendre plus libérale encore.Très récemment (en mars 2008) la Banque mondiale, dont il est possible de considérer qu’elle estle symbole mondial du libéralisme et qui fut jusqu’alors délibérément écartée du domaine foncier,a signé un projet de coopération très ambitieux dans le domaine foncier (Land AdministrationProject), ce qui la positionne aujourd'hui comme le chef de file des acteurs étrangers dans cedomaine et est un indicateur fort de l’orientation donnée au foncier. Les positions exprimées parles différents acteurs nationaux du foncier ne sont pourtant pas aussi nettes. D’un côté, nettementmarquée chez les cadres de l’administration foncière, il existe une approche assez technicienne dufoncier où dominent les préoccupations d’efficacité aussi bien pour l’administration que lalégislation, ainsi qu’une volonté de rendre autonome le domaine foncier. Il s’agit de cadres enrelation directe avec des experts étrangers qui adoptent un point de vue « d’en haut », considérantle développement du pays dans son ensemble avec ses contraintes liées aux processusd’urbanisation, d’industrialisation et d’ouverture. De l’autre côté, représenté plutôt dans notreéchantillon par des membres du MARD (Ministère de l’agriculture et du développement rural)certains acteurs considèrent plutôt le foncier comme une question qui ne peut être détachée descontextes locaux et sectoriels, le foncier agricole devant par exemple répondre aux besoins del’agriculture et des populations rurales alors que le foncier forestier doit répondre avant tout à desobjectifs de protection de l’environnement, etc. Aujourd'hui, le premier groupe d’acteurs estnettement le plus influent en raison de la position stratégique qu’il occupe dans l’administrationfoncière, et par l’appui de la coopération internationale. Cependant la question de l’agriculture,des populations et des espaces ruraux demeure un frein à la libéralisation en redevantconjoncturellement une priorité.Qu’il soit planifié ou libéralisé, priorité ou non, rien n’indique jusqu’à présent que le foncieragricole puisse à l’avenir tenir compte des spécificités du monde rural, et en particulier de sagrande diversité. Contrôlé par l’État, le foncier agricole se distingue surtout par la multiplicité descontraintes qu’il impose (catégories, limites temporelles et spatiales, etc.) et non par sa capacité às’adapter à celles du monde agricole, des populations comme de leurs pratiques et leurenvironnement. Libéralisé, ce foncier se rapprochera d’un système de propriété individuelle ce quifera de la législation foncière un carcan dans nombre de contextes locaux où les droits d’accès auxressources ne sont pas gérés de cette façon. La loi foncière de 2003 introduit des innovations quiatténuent ce carcan en créant notamment une nouvelle catégorie d’usagers, les « communauté depopulation » qui permet à des groupements de détenir collectivement des droits d’usage sur desterres agricoles et forestières qui leur sont attribuées à titre gratuit sans limitation de durée et desuperficie. Cette nouvelle mesure est cependant elle-même très contraignante, tant en ce quiconcerne les conditions de constitution d’une « communauté », que des démarches qu’ellenécessite et du cadre qu’elle impose à la gestion collective. Quelle est alors la place des systèmesfonciers coutumiers dans le système foncier tel qu’il émerge ? Cette place n’est pas prévue ou defaçon très insatisfaisante dans les institutions. Le maintien d’une grande diversité des situationslocales semble finalement découler des hésitations qui sont encore celles du gouvernementconcernant le foncier agricole. Les systèmes coutumiers peuvent subsister dans l’entre-deux créé11par la cohabitation d’acteurs ayant des positionnements divergents concernant cette question ainsique sur le rôle de l’État. Ils sont aussi rendus possibles par l’abandon relatif du monde rural, enparticulier lointain, ce qui s’y produit n’étant pas considéré comme important tant que cela neremet pas en cause les objectifs d’urbanisation et d’industrialisation. Aussi, le regain récentd’intérêt pour ce domaine peut potentiellement avoir la capacité de relancer le sujet des systèmesconsidérés comme non conformes avec la mise en place d’un État moderne, que ce soit en raisondes pratiques agricoles comme celles de défriche-brûlis ou par le fonctionnement de systèmes depouvoir locaux originaux. Les systèmes coutumiers subsistent aussi tant que le projet dudéveloppement d’une agriculture intensive, de type industriel, n’est pas soutenu efficacement etpartout.

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