test
Search publications, data, projects and authors

Conference

French

ID: <

2268/197127

>

Where these data come from
Bildwissenschaft - Image et langage (introduction au colloque)

Abstract

En guise d’introduction très rapide, je voudrais rappeler dans ses grandes lignes le projet auquel est liée l’organisation de ces journées de recherche. Le projet tente d’établir une archéologie de la théorie de l’image contemporaine, en particulier (en priorité) dans son versant germanophone, celui de la « science de l’image » (Bildwissenschaft) – discipline qui est, pour des raisons diverses (obstacle de la langue, nouveauté des problèmes, hermétisme des débats, etc.), encore peu connue chez nous. Or, me semble-t-il, l’explosion récente de la théorie de l’image (depuis les années 1990), théorie de l’image qui s’est décentrée par rapport à son milieu naturel et déployée sur de multiples territoires disciplinaires, appelle une nouvelle cartographie des études visuelles, qui reste à établir, ainsi qu’une redéfinition philosophique de l’image (ou des images) et de l’expérience qui en découle (les phénomènes visuels et iconiques étant à ce point diversifiés aujourd’hui que de nombreuses définitions sont en circulation sans que l’on perçoive toujours leur cohérence). Comme l’écrivait récemment Klaus Sachs-Hombach : « Une science générale de l’image n’a pas encore réussi à s’établir » (I, §1). L’idée de ce projet sur la Bildwissenschaft consiste donc à envisager du point de vue de la méthode les différentes approches récentes de l’image pour tenter d’identifier ce qu’elles ont en commun (c’est loin d’être évident). L’option qui me semblait pouvoir être investie dans un premier temps consiste à rapporter ces développements récents à la discipline d’interprétation des images née en Allemagne au début du XXe siècle, quelques décennies auparavant, (avec A. Warburg et surtout E. Panofsky), à savoir : l’iconologie. En effet, à mes yeux, du point de vue de son ancrage philosophique, la théorie de l’image actuelle puise ses principales ressources conceptuelles dans l’iconologie (et les problèmes théoriques qui lui sont associés). En quoi consiste ce modèle ? Pour le dire trop vite, la méthode iconologique vise principalement l’interprétation du contenu symbolique des images. Elle repose entièrement – ou en tout cas majoritairement – sur une compréhension symbolique des artefacts visuels : face à une œuvre picturale, par ex., on part bien entendu de ce qui est donné à la perception (les éléments sensibles et matériels présentés par l’œuvre), pour dégager petit à petit la signification profonde et intrinsèque de l’œuvre. Dans cette optique, l’image a donc pour vocation de délivrer un message, au même titre que le langage, mais avec des moyens différents. Or, si on tente de rapporter la Bildwissenschaft – telle qu’elle se déploie considérablement depuis quelques années – à l’iconologie, on doit admettre que ce modèle (le modèle iconologique) joue surtout négativement. Depuis la fin des années 1980, la méthode iconologique a commencé à générer chez les théoriciens de l’art et du visuel (en général), toutes sortes de réactions d’insatisfaction – voire même de franche hostilité. Et pour la plupart de ces auteurs, l’iconologie va servir de repoussoir autant que de modèle. Pour quelle raison ? Les critiques généralement adressées par les théoriciens contemporains à la méthode iconologique s’articulent le plus souvent autour du problème de la prédominance du paradigme langagier pour l’analyse des images. Or, à force de considérer trop strictement l’image sur le mode du signe qu’il faut lire et décrypter, on risque de l’assimiler purement et simplement à d’autres types de signes, notamment langagiers, et de diluer sa spécificité dans une théorie symbolique trop large. Globalement, il me semble que les différentes réactions s’accordent (ou en tout cas pourraient s’accorder) sur le fait que l’iconologie – telle qu’elle se présente dans sa version traditionnelle – doit être complétée : l’approche symbolique des œuvres doit par ex. pouvoir s’appuyer sur une attention soutenue à leurs modes de présentation (dans ce cas, les outils du « formalisme esthétique » peuvent alors être convoqués) ou à leur matérialité (les outils « phénoménologiques » peuvent idéalement venir au secours de l’analyse). En résumé, depuis la fin des années 1980, l’héritage iconologique est mis en question par des chercheurs qui – en réalité – veulent donner au concept d’iconologie un sens plus actuel et consacrent leurs efforts à l’étude de la logique des images (logique iconique), en tant qu’elle n’est pas contaminée par le modèle langagier. Autrement dit, les protagonistes de la Bildwissenschaft concernés par ces problématiques font le pari suivant : on peut étudier la logique du visuel en dehors de toute référence au langage et à sa syntaxe propre. Ils pensent pouvoir montrer en quoi une proposition visuelle diffère radicalement d’une proposition langagière. En rapportant la Bildwissenschaft à l’iconologie, on rencontre donc très vite la thématique centrale de l’iconic turn (tournant iconique), qui consiste à défendre l’idée d’une spécificité absolue de l’image à l’égard du langage. On l’a dit : Les défenseurs du tournant iconique pensent renverser la domination du paradigme langagier pour l’interprétation des images. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur l’étude des contenus symboliques, il importe à leurs yeux de se concentrer sur ce qui fait la spécificité intrinsèque de l’image et de montrer comment sa matérialité affecte et contamine directement la production du sens. Contre la sémiotisation excessive des formes d’expression visuelle, il faudrait donc affirmer une fonction intransitive des images, c’est-à-dire redonner à l’image une épaisseur propre, qui ne renvoie qu’à elle-même. De nombreux auteurs s’inscrivent dans cette perspective (c’est le cas notamment de G. Boehm, qui veut sortir du paradigme langagier pour l’interprétation des images, ou de L. Wiesing, qui tente une définition asémantique de l’image). Les débats autour de l’iconic turn sont très particuliers et finalement difficiles à traiter. D’abord parce que l’iconic turn fait suite au linguistic turn (tournant déclaré dans la célèbre anthologie de Rorty - 1967), et appelle à sa suite d’autres tournants (on parle volontiers aujourd’hui d’un tournant anthropologique des études visuelles, comme on parle d’ailleurs aussi d’un tournant visuel de l’anthropologie, etc.). Or, ces changements radicaux de direction, ces changements de paradigme, finissent à mon avis par nous faire perdre nos repères (il y a trop de turn, pour le dire platement) et on a le sentiment de tourner en rond. Ensuite, autre difficulté : les débats liés à l’iconic turn sont souvent animés par la volonté de défendre – jusqu’à l’absurde – la valeur primordiale et la préséance absolue de l’image sur le langage. Si on s’enlise dans les positions parfois stéréotypées de ce débat, on pourra difficilement sortir du scepticisme langagier le plus stérile (l’idée que le langage manque inévitablement le caractère sensible de l’image). Pourtant, je ne voudrais pas non plus rendre trop caricatural ce débat qui m’intéresse tellement. D’un côté, j’ai l’impression qu’on y revient toujours, de l’autre, qu’on en est déjà sorti. On y revient toujours parce que ce problème continue à être essentiel pour toute une série d’auteurs qui cherchent obstinément à vouloir distinguer l’image des autres formes d’expression, à vouloir construire de nouvelles iconologies. Et l’effort qui consiste à essayer d’identifier les spécificités logiques du visuel doit sans cesse se renouveler ; les théories de la spécificité sont très fragiles parce que les contre-exemples et contre-arguments viennent très vite à l’esprit dès qu’il s’agit de séparer les pouvoirs de l’image et du langage. Dès que quelqu’un dit : « l’image fait ceci que le langage ne fait pas », on trouve quelqu’un d’autre pour répondre : « comment ? Mais si, le langage fait ça aussi ». Néanmoins, si on dégage peu de certitudes, de points fixes, ces débats sont loin d’être stériles (pour le dire vite : on a l’impression tout de même d’augmenter notre connaissance des images en traversant ces discussions). On y revient donc toujours mais en même temps on en est déjà sorti (et presque toujours déjà sorti) : aujourd’hui, on rencontre de multiples propositions, qui émanent soit du champ de la Bildwissenschaft lui-même, soit de l’extérieur (et parfois même très en amont de ces débats), et qui présentent des modèles plus complexes et nuancés qui n’opposent pas frontalement image et langage. Mais qui font l’effort de penser leur complémentarité. Et en réalité, ces efforts nous donnent à penser que la séparation des pouvoirs de l’image et du langage est peut-être très artificielle – ou en tout cas fragile – dans certains cas, mais qu’elle continue à être utile.

Your Feedback

Please give us your feedback and help us make GoTriple better.
Fill in our satisfaction questionnaire and tell us what you like about GoTriple!